Ce thème a émergé à l'initiative de Michèle Castellengo avec une
recherche sur la reconnaissance et l'appréciation qualitative de bruits
domestiques (thèse de F.Guyot, 1996). Celle-ci montrait que la plupart
des travaux antérieurs, étudiant la perception du seul point de vue du
signal acoustique et non de celui de l'individu, conduisaient à des
résultats pauvres et limités. Il était donc nécessaire de prendre en
compte les phénomènes sémantiques.
C'est ainsi qu'une collaboration systématique s'est établie avec le
laboratoire Langages, Cognitions, Pratiques et Ergonomie (LCPE, CNRS,
Danièle Dubois). Elle a permis de répondre à des appels d'offre du
Ministère de l'Environnement, du CNRS (PIR Villes), et enfin des
programmes PREDIT, ce qui explique que ces recherches ont concerné
l'environnement externe - le bruit dans la ville.
Depuis le dernier rapport d'activité, M. Mzali (CIFRE SNCF dans le
cadre du PREDIT) et C. Guastavino (bourse MESR, PREDIT) ont soutenu
leur thèse.
Aujourd'hui, la cadre conceptuel est bien en place. Il a permis de
développer de nouvelles méthodes expérimentales, que nous appelons
"sémio-acoustiques" et qui complètent l'approche psychoacoustique
traditionnelle. Nous envisageons maintenant d'appliquer ce cadre
conceptuel aux instruments de musique, à la voix (thèse de Maëva
Garnier, bourse MESR) ainsi qu'à l'acoustique des salles et aux
problèmes posés par la restauration des documents sources.
L'équipe Lutheries-Acoustique-Musique fait figure de pionnier dans
cette approche sémioacoustique, qui suscite beaucoup d'intérêt de la
part de l'industrie (FranceTelecom, SNCF, PSA) ou des collègues
acousticiens (projet HISAC).
La thématique de l'équipe, constituée depuis le début des années 90
et réunissant linguistes et psychologues, s'inscrit dans la dynamique
des sciences cognitives et concerne l’étude des relations entre langage
et cognition, et plus particulièrement les phénomènes de
catégorisation. Ce programme s'actualise sur l'étude des interactions
entre les catégories sémantiques et le lexique.
L’objectif de ce thème – à l’encontre d’une conception qui majore le
rôle des contraintes perceptives sur la langue – est de prendre
également en compte les contraintes produites par les systèmes
symboliques – et particulièrement les langues – dans l’articulation des
structures cognitives individuelles et des connaissances partagées.
Le choix d’une approche « située », tenant compte des pratiques, implique de se centrer sur le rôle des phénomènes sémiotiques et sémantiques, aspects minorés voire ignorés par le modèle cognitiviste classique de la cognition (basé sur la réduction du sujet à un système de traitement de l’information). La présence du pluriel appliqué à chacun des domaines concernés manifeste le souci de ne pas oblitérer la variation et la diversité dans la recherche des invariants.
Thèmes de recherche de cette équipe :
L'étude des catégories sémantiques s'est développée à partir des travaux sur les processus de compréhension du langage, et en fonction de la nécessité de prendre en compte les mécanismes « descendants » dans l’interprétation. L'intérêt porté aux aspects sémantiques a conduit à travailler sur le rôle des représentations en mémoire impliquées tant dans la perception « du monde » que dans celle des formes linguistiques.
L'évolution des recherches a conduit à étudier les processus de
catégorisation et les concepts de prototype et de typicalité, inscrits
dans l’analyse d’une cognition où le sujet humain est davantage acteur
et locuteur que simple contemplateur du monde. Il s'agit alors de
relier des champs distincts dans la recherche cognitive : celui de la
construction des invariants individuels en mémoire (psychologie) et
celui des connaissances partagées en langue (sémantique lexicale en
linguistique ou en philosophie du langage).
Nous avons pu établir que les théories cognitives de la catégorisation
:
A partir de ces résultats, les recherches du LCPE se sont orientées
vers les phénomènes de catégorisation concernant d’autres modalités
sensorielles que le visuel.
Dans le domaine olfactif, on a montré que les « objets » olfactifs
non lexicalisés en français étaient des catégories instables et non
partagées comme connaissances, et de ce fait incitaient à relativiser
les modèles dominants en sémantique lexicale, élaborés à partir de la
modalité visuelle.
Dans le domaine auditif, nous avons constaté qu’un « même »
phénomène physique pouvait donner lieu à différents objets cognitifs
selon les processus de sémiotisation et de construction en langue et en
discours qu’ils suscitent. On est conduit à contraster les bruits
(souvent considérés comme des « nuisances » dans la mesure où les
stimulations sonores sont imputées, et lexicalisées, comme sources
produisant des effets désagréables), avec les sons produits de manière
délibérée comme artefacts sonores dont l’intentionnalité régit
l’interprétation.
L’ensemble de ces recherches amène à une réflexion épistémologique
sur l'articulation des connaissances élaborées par les diverses
disciplines et sur les méthodes d'exploration des phénomènes et
processus cognitifs.
On développe ainsi une approche que l'on peut qualifier de
sémiophysique (qui complète les données issues du paradigme
psychophysique, davantage concerné par le fonctionnement « périphérique
» des processus cognitifs).
On est amené à évaluer les modes de recueil et de construction des
données dans les paradigmes expérimentaux, et de questionner leur «
validité écologique ».
Par ailleurs, ces cadres théoriques et méthodologiques permettent
d'aborder de manière productive l'analyse de questions spécifiques
comme celles :
du confort (confort acoustique, confort global), concernant des domaines tels que l'environnement, les ambiances urbaines, les transports terrestres ;
de la qualité et de l'évaluation subjective de produits commercialisés ou d'aide à la conception de produits ; ce qui permet de répondre à des demandes du secteur industriel (SNCF, PSA, architecture, …).
Ce couplage de la recherche fondamentale et des perspectives
appliquées offre à des étudiants la possibilité de bénéficier de
bourses CIFRE.
Opérations de recherche
1. Constructions langagières et modalités sensorielles :
catégorisation et lexicalisation
1.1. Lexicalisation et conceptualisation de
domaine visuel
A partir des recherches sur la catégorisation de la couleur et sur la
diversité des modes de désignation et de dénomination dans une grande
variété de pratiques, on élargit actuellement nos investigations au
domaines des couplages avec les couleurs, les textures et les formes.
1.2. Désignation d’objets sensoriels complexes
Il s'agit d'identifier les modes de désignations et de constructions
catégorielles dans divers types de situations : ambiances sonores,
espaces urbains, objets quotidiens, dans leur diversité matérielle
(espaces architecturaux, véhicules, produits de consommation) et dans
leur configurations multi-sensorielles (conjonction de lumières,
formes, odeurs, saveurs, bruits et sons).
1.3. Gestes et pratiques langagières
La catégorisation des gestes et leur description sont étudiées à la
fois dans les pratiques de fabrication d’objets, et du point de vue du
rôle des gestes dans la communication, verbale ou non verbale (langages
gestuels, sensations kinesthésiques, expression de la douleur).
2. Contraintes langagières et connaissances
2.1. Propriétés des systèmes linguistiques :
Représentations du monde et variations linguistiques
Si le programme de l'équipe s'inscrit massivement dans l'étude des
ressources de la langue française, des études contrastives avec des
langues différentes permettent de tester les hypothèses sur le rôle
qu'exercent les contraintes linguistiques (grammaticalisation,
morphosyntaxe, lexicalisation) dans la construction des catégories
cognitives, et plus précisément des catégories nominales.
2.2. Contraintes discursives Il s’agit
d’identifier les modes de construction ou d’expression des
connaissances et du sens lexical en discours, dans la diversité des
pratiques langagières.
2.3. Lexiques, discours et connaissances communes, expertes
et spécialisées
L’interaction des contraintes linguistiques et cognitives est plus
spécifiquement étudiée dans le contraste entre connaissances communes
et expertises, et dans la pratique des langues et discours de
spécialité.
2.4. Matérialité et technologies des langues et
des systèmes symboliques La visée est d’étudier le rôle des supports
matériels de l’expression linguistique (oral, écrit, informatique) et
de leurs propriétés « formelles » (en particulier celles inscrites dans
les développements technologiques) dans la constitution des
représentations de la langue (dictionnaires, nomenclatures, bases de
données) et le traitement des connaissances (indexation, traitement
automatique du langage).
3. Épistémologie : sémiophysique et « validité écologique » des
questionnements et des mesures
Transversalement aux opérations précédentes, et dans le but d'élaborer
une « sémiophysique », nous continuons d'évaluer la « validité
écologique » des procédures de questionnement relativement aux objets
cognitifs et langagiers, sous deux aspects :
3.1 Conditions de production et de recueil des
données On analyse à la fois les problèmes posés par l’influence des
consignes et formulations des questions sur la constitution des corpus
provoqués et les conséquences de l’opposition de l’analyse descriptive
de terrain et des méthodes expérimentales.
3.2 Traitement des données, inférences et
généralisation
Il s’agit de développer et d’adapter des outils d’analyse (tels que les
arbres additifs, modèle privilégié en catégorisation) et, sur le
versant inductif, de poursuivre le développement de méthodes mieux
adaptées à faire des inférences portant sur la taille des effets.
4. Recherches sous contrats Actuellement, le groupe, couplé avec des laboratoires de SdV ou de SPI, travaille en étroite collaboration avec divers partenaires industriels (SNCF, PSA, Nestlé, …) ainsi que des collectivités locales (Ville de Paris, Conseil général de l'Oise, …) sur diverses thématiques permettant d'appréhender, à partir des analyses de données verbales et discursives, les valeurs subjectives d'aménagements ou de produits.